La Guerre ou la chevauchée de la discorde, Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau, (1894)
Huile sur toile, 1,14 x 1,95 m, Musée d’Orsay, Paris.
Description du tableau
Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, a participé à la guerre contre la Prusse de 1870. Profondément marqué par cette expérience, il représente la guerre sous la forme d’une femme habillée de blanc, tenant une torche fumante d’une main et une épée de l’autre, qui descend d’un cheval noir monstrueux. À ses pieds se trouvent des cadavres, pour certains démembrés, sur lesquels des corbeaux viennent se nourrir.
Le paysage est dévasté : les arbres sont morts, le sol est nu, les nuages ont une couleur rouge qui rappelle le sang.
Propositions d’interprétation
La figure féminine au centre du tableau évoque la déesse romaine Bellone, divinité de la guerre : c’est une allégorie. On notera son sourire effrayant et sa course qui sème la mort et la destruction. Le cheval noir qui se trouve derrière elle est déformé, monstrueux : il rappelle les cavaliers de l’Apocalypse, qui répandent les désastres sur la terre.
La structure du tableau met en valeur ces deux entités : ils sont encadrés par les figures horizontales que constituent les cadavres et les nuages, et par les formes verticales des arbres.
Comme dans le poème de Tardieu, la représentation de la destruction se fait aussi par l’absence : ici l’absence de couleur. Le noir (le cheval, les arbres et le sol), le blanc (la robe de la déesse et les cadavres) et le rouge (nuages) dominent, rappelant la mort et le sang, alors que le vert, couleur de l’espoir, n’apparaît pas.
Ce tableau que l’on associe à l’art naïf (simplification, absence de perspective) permet, grâce à stylisation même, de représenter l’irreprésentable, la destruction de toute vie.
Fiche réalisée par Mme Gourdé
« Oradour », Jean Tardieu, Les Dieux étouffés (1944)
Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a pas plus de pierres
Oradour n’a plus d’église
Oradour n’a plus d’enfants.
plus de fumée plus de rires
plus de toits plus de greniers
plus de meules plus d’amour
plus de vin plus de chansons.
Oradour j’ai peur d’entendre
Oradour je n’ose pas
approcher de tes blessures
de ton sang de tes ruines,
je ne peux, je ne peux pas
voir ni entendre ton nom
Oradour je crie et hurle
chaque fois qu’un cœur éclate
sous les coups des assassins
une tête épouvantée
deux yeux larges deux yeux rouges
deux yeux graves deux yeux grands
comme la nuit la folie
deux yeux de petit enfant :
ils ne me quitteront pas.
Oradour je n’ose plus
Lire ou prononcer ton nom
Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos cœurs ne s’apaiseront
que par la pire vengeance
haine et honte pour toujours.
Oradour n’a plus de forme
Oradour femmes ni hommes
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus d’église
plus de fumées plus de filles
plus de soir ni de matins
plus de pleurs ni de chansons.
Oradour n’est plus qu’un cri
et c’est la bien la pire offense
au village qui vivait
et c’est bien la pire honte
que de n’être plus qu’un cri
nom de la honte des hommes
le nom de notre vengeance
qu’à travers toutes nos terres
on écoute en frissonnant
une bouche sans personne,
qui hurle pour tous les temps.
Oradour-sur-Glane est une commune du Limousin. Le 10 juin 1944, les nazis, par mesure de représailles, y massacrèrent 643 personnes dont 500 femmes et enfants. Ceux-ci périrent enfermés dans l’église à laquelle les nazis avaient mis le feu.
Le poème « Oradour » a été écrit en 1944 par Jean Tardieu, qui participa aux publications clandestines de la Résistance.
La structure du poème
Le poème est composé de plusieurs strophes irrégulières, rassemblant des vers isométriques (de même longueur) non rimés.
Les choix d’écriture
Pour représenter la destruction, le poète a choisi de multiplier les négations pour décrire le village : il énumère tout ce qui a disparu, les êtres humains, les bâtiments, les signes de vie… mais en les niant.
Il utilise les répétitions, notamment l’anaphore (répétition en début de vers) du nom Oradour : pour lutter contre la destruction et l’oubli, ce nom est martelé tout au long du poème. D’ailleurs le village est réduit à l’état de « cri » : il est devenu le symbole de la « honte », de la barbarie de la guerre qui l’a rayé de la carte.
Le poète fait partager ses émotions aux lecteurs : devant l’horreur que représente Oradour, il ressent de l’effroi car il est incapable d’en parler ou de l’imaginer (voir strophes 3 et 4, le cauchemar à la strophe 4). En réaction, le poème se conclut sur des appels à la vengeance : Tardieu se place dans la lignée des poètes de la Résistance. Son texte est cri de révolte face au désastre.
Le poème est un moyen de lutter contre l’oubli, en rappelant sans cesse aux lecteurs le nom d’Oradour et ce que ce village n’est plus.
Fiche réalisée par Mme Gourdé